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La belle cavalière de Brocéliande

 

 

 

- Que des légendes !

Pourtant, l'homme hésite encore à s'engager sous la frondaison des arbres. Le chemin qui s'enfonce est sombre, bordé de troncs torturés. C'est là, à ce que l'on dit, le repaire de Morgane, de farfadets, gnomes et autres créatures d'aspects plus au moins répugnants. Certains parlent même de dragons mais ceux- là, ceux qui les auraient vus ou seulement aperçus, ne sont jamais revenus de cette étrange forêt. Justement, comment les autres, ceux qui en parlent, le savent-ils ? Donc, sûrement des légendes !

Le cheval tape du sabot et hennit en jouant de la crinière. Lui non plus n'aime pas cet endroit. L'homme flatte son encolure :

- Allons, allons, Pacha, calme-toi !

Prenant le cheval par la bride, l'homme s'engage enfin sur le chemin. Le cheval suit, les oreilles dressées, l'œil dilaté et les naseaux rétractés. Regardant de droite et de gauche, il mène sa monture sans oser regarder en arrière, de peur de rebrousser chemin. Un rire le glace d'effroi, le cheval s'arrête net et tire sur le licol.

- Ce n'est qu'un oiseau, un hibou… Sûrement !

Il n'en est plus très sûr lorsqu'il entend une galopade sur ses arrières. Il se retourne mais, rien ! Il doit forcer le pas s'il ne veut pas passer la nuit dans cette forêt : Brocéliande la maudite.

- Ho ! La belle cavalière vient de passer… fait une voix haut perchée

Ce rire ? C'était donc cela ! Ce nabot… mais ce nabot lui inspire plus de crainte que de pitié. Le nain saute de la souche sur laquelle il était assis et ricane plus qu'il ne parle :

- Oui ! La belle cavalière, celle qui prend amant pour la nuit et la vie au jour venu. Hi hi hi !

- Que me dis-tu là infâme nabot, rejeton de la terre ? Légendes que tout ceci…

- Ho ! Et pourquoi ce regard effrayé alors ? Ce n'est tout de même pas à cause de moi ? Rappelle-toi, je ne suis qu'un nabot, un rejeton de la terre… Tu me l'as dit toi-même.

L'homme se reprend, ne voulant se mettre à dos cet être difforme :

- Désolé ! Oui, j'ai peur mais toi ? Toi si petit si…

- Laid ? Hi hi ! Justement je suis si laid que je ne crains pas que la belle cavalière me choisisse pour être l'amant d'une nuit. Mais toi, si tu veux mourir dans ses bras, vas-y mon ami, continue ton chemin…

- Tu me conseilles donc de m'en retourner d'où je viens ? Serais-tu un sage de la forêt alors ?

- Oui voilà ! T'en retourner mais…

- Mais…

- Tu ne peux pas !

- Comment ça je ne peux pas ?

- Non !

- Non ?

- Non ! A moins que…

Le nabot se gratte le nez, ôte ce qui lui sert de couvre-chef, gratte à son tour son crâne dégarni et, se rasseyant sur la souche d'arbre, propose à l'homme :

- Il y aurait bien un moyen…

L'homme s'accroupit en face de lui et l'écoute avec attention.

- Voilà : Si la belle cavalière peut ainsi hanter notre bonne forêt de Brocéliande, c'est grâce à son cheval.

- Oui et alors ?

- En fait, une licorne ! fait à voix basse le nabot en approchant son visage de l'homme, comme pour ne pas être entendu de la cavalière.

- Les licornes ça n'exis… commence l'homme mais sans terminer. Ici à vrai dire…

- Oh que si, qu'elles existent, enfin au moins une ! Donc si tu voulais, par hasard, nous délivrer de cette femme, nous t'en serions très reconnaissants.

- Oh ! Et tu veux que je capture son… heu… sa licorne je suppose ?

- Ce soir est le bon soir ! Se contente de répondre le petit homme.

- Ce soir…

Sans qu'il s'en rende compte, la nuit est venue. Sans qu'il s'en rende compte car c'est la lune d'argent : Celle des légendes, des loups-garous, des licornes, des fées et autres sorcières aux potions toutes plus réjouissantes les unes que les autres. Celle que le commun des mortels appelle la pleine lune. Il sait qu'en d'autres lieux tous aussi joyeux, cette lune appelle les vampires ou les trolls. Il frissonne à cette pensée. Il demande :

- Et… comment capture-t-on une licorne mon ami ?

- Hm ! Quel doux mot à mes oreilles ! Entendez vous tous, il a dit : Mon ami !

Puis reprend :

- Comment capture-t-on une licorne ? Si je le savais, aurai-je besoin de toi ?

- Tu es quand même petit !

- Toi aussi si tu te crois plus grand que moi.

- Alors tu ne peux rien me dire ?

- Si : La belle cavalière mène sa monture s'abreuver aux reflets de la lune d'argent, là d'où l'on ne revient pas.

- Et tu sais où se trouve cet endroit ?

- Oui bien sûr mais je ne puis y aller. Je suis un habitant de cette forêt.

- Et, comment revenir d'un endroit d'où l'on ne revient pas ?

- Il faut y aller pour le savoir ou, l'oublier à jamais !

Ne voulant une réponse tout aussi sibylline à une autre question, il demande tout simplement :

- Au fait, quel est ton nom ?

- Merlin ! Rapporte-moi la corne de la licorne et tu sortiras vivant de cette forêt.

- Merlin ?

- Oui Morgane et moi avons eu quelques… différents !

- Ah ! fait-il en haussant les sourcils, réprimant un sourire.

- Mais c'était il y a bien longtemps ! assure précipitamment le nain.

- Voilà qui devrait donc me rassurer !

- Oui da ! Ah chevalier, n'oubliez donc pas votre épée !

- Mon épée ?

- Oui là ! Fait Merlin en désignant la lame fichée dans le tronc sur lequel il était assis il y a un instant encore.

- Au fait, je ne suis pas chevalier et de plus, les chevaliers…

- Oui je sais… ont disparus depuis longtemps. Je ne suis pas né de la dernière pluie, jeune homme ! D'ailleurs une épée, ne sert pas qu'à se battre…

- Ca … lance l'homme en éclatant de rire.

Il tire la lame du tronc et la regarde un instant, s'en servant comme d'un miroir. L'avoir en main lui procure un effet de puissance passagère. Il se retourne pour parler au nabot, lui demander sa route mais, celui-ci a disparu. Comme le chemin par lequel il est venu.

- Bon, il n'y a pas le choix : En avant !

Dans sa tête, il se remémore la phrase du nain : "La belle cavalière mène sa monture s'abreuver aux reflets de la lune d'argent, là d'où l'on ne revient pas". Il pense de suite au Val sans Retour, encore une légende quoique… Donc la cavalière y mènerait boire la licorne ! Mais pourquoi "aux reflets de la lune d'argent" ? Sans doute au moment où la lune se reflète dans l'eau.

- Certainement ! pense-t-il tout haut, mais cela ne me dit pas comment récupérer la corne !

Puis s'adressant à son cheval :

-Toi je vais te laisser là. Tu sauras toujours me retrouver, mon bon Pacha !

Pacha se met à arracher des touffes d'herbe tandis que son maître s'éloigne de lui. La forêt bruisse de milliers de bruits mystérieux. Les feuilles des arbres accrochent des reflets d'argent, brillent de mille éclats. Ce serait presque aveuglant… Aveuglant ! L'homme vient de comprendre : Lorsque la monture de la belle cavalière boit dans le reflet de la lune, ils ne peuvent voir, ni l'un ni l'autre, quelqu'un arrivant sous l'eau ! Oui mais l'épée dans tout ça ? "D'ailleurs une épée, ne sert pas qu'à se battre…", lui a suggéré le nain.

Le Val sans Retour ! Il y est enfin… Malgré l'épée lui donnant quelque assurance, l'homme hésite et se coule dans la végétation qui entoure le plan d'eau. La lumière lunaire se reflète sur les schistes pourpres du lac. Un éclat de terre plus blanc attire son attention :

- Là-bas ! C'est là-bas qu'elle mènera sa monture.

L'homme vient de remarquer un endroit ouvert sur l'eau. Lentement, il s'approche de l'endroit, écartant de ses mains quelques roseaux pour se glisser dans l'eau fraîche.

- Les roseaux, l'épée… C'est donc ça !

En silence, il coupe quelques tiges et les passe à sa ceinture. Il frissonne : La froideur de l'eau autant que la crainte, celle de l'inconnu, du doute aussi : Et si ce nabot n'était pas Merlin ? Doit-il croire la première personne entrevue dans cette forêt ? Et si, et si… D'ailleurs, il ne l'a pas vue cette belle cavalière ! La cavalcade : Pourquoi pas la fuite d'un cerf effarouché ? Dans le cas contraire, sans doute est-elle également perdue au cœur de Brocéliande et tout comme lui, cherche-t-elle une hypothétique sortie ! Ou alors n'est-elle que le fruit de l'imagination de quelques farfadets et autres habitants des lieux. La forêt ne serait-elle pas alors seulement un repaire de brigands ?

Le froid l'engourdit. Il ressort de l'eau et s'approche un peu plus de l'endroit où la belle cavalière devrait apparaître. La lune est maintenant haute dans le ciel et son reflet effleure l'eau du Val à peine troublée par quelques rides. Un silence inquiétant envahit le vallon. Un bruit de sabot et une forme animale s'approche de la rive. A la lumière de la lune, l'homme respire : Ce n'est qu'une biche !

L'attente reprend. Ses vêtements mouillés le font grelotter. Ah ! Si Pacha était là, il pourrait se blottir contre son flanc, se réchauffer de sa chaleur et… et il serait moins seul. Les bruits, les chants de la forêt ont repris. L'homme s'apaise enfin, comme bercé par ce concert sylvestre. Il écoute en souriant les hiboux communiquer entre eux, essaie d'imaginer ce qu'ils peuvent bien se dire. Son corps commence à se réchauffer; l'herbe est douce à cet endroit, moelleuse même. Il entend les feuilles tombées au sol bouger au passage des petits animaux nocturne mais n'en a cure : Ceux-ci, il ne les craint pas !

Le lac a pris une teinte argenté. La lune est au plus haut :

- C'est maintenant ou jamais ! pense-t-il à voix basse.

Comme pour le conforter dans sa pensée, la forêt se tait de nouveau, le silence devient lourd. Il se redresse doucement et regarde en direction de la trouée qui mène au rivage. L'idée de retourner dans l'eau froide ne lui plait guère pas plus d'ailleurs celle de prendre la corne de l'animal. Il se souvient de sa grand-mère, lui racontant une de ces légendes et surtout ce passage :

" Il visa la bête au poitrail et celle-ci s'immobilisa en se cabrant, hennissant de douleur. Alors d'un geste brusque, le soldat du roi arracha la corne et lui, le cœur si dur des combats qu'il avait mené, vit que l'animal pleurait. La licorne tomba au sol agitant son éclatante crinière, le sang de sa blessure zébrant le corps opalin. L'émotion gagna le rude guerrier lorsqu'enfin, ce fut le corps d'une belle femme qu'il prit dans ses bras et non celui d'une légendaire licorne. Il cria toute sa colère, sa honte en retirant la flèche d'or du sein de la belle. Avant de mourir, la femme fit savoir qu'il ne quitterait plus jamais cette forêt, errant à l'infini au milieu des brumes

- Et quiconque viendra en ce lieu, subira le même sort ! Avait-elle ajouté en expirant. "

 

Serai-ce donc la belle cavalière ? pensa l'homme tout en fixant la rive. La forêt est toujours aussi silencieuse. Seuls quelques batraciens osent défier ce couvre-feu. L'homme entend soudain une envolée d'oiseaux, des feuilles qui s'agitent, des branches qui craquent puis, à nouveau le silence, encore plus oppressant, plus lourd…

- Elle arrive !

Un frisson d'angoisse parcoure son corps, le froid oublié se rappelle à lui. La peur le tenaille : Un hennissement encore lointain, signe de l'approche de la belle cavalière. L'attente est longue, insupportable avec cette envie de prendre ses jambes à son cou, quitte à errer indéfiniment en ces lieux. Cependant, la curiosité est la plus forte et lui donne cette force de rester sur place : Il veut la voir !

Un autre hennissement, plus proche… En tendant l'oreille, l'homme est sûr de percevoir le pas d'un cheval, plus imposant que celui d'une biche voire d'un cerf, plus régulier aussi : le pas d'un cheval en approche. Sa main serre la garde l'épée, arme bien dérisoire face à un fantôme, si c'est bien le fantôme de la belle cavalière, celle de la légende de sa grand-mère.

- Le cheval est ferré !

Le doute n'est plus possible, c'est bien elle ! Dans un ultime espoir, il espère un autre voyageur, égaré comme lui, à qui le nabot aurait fait la même proposition. Malgré une peur envahissante, il s'approche encore davantage de la crique. Il est au bord, seulement caché par un buisson argenté.

Le cheval approche, plus de doute : Il entend maintenant l'animal souffler. Le pas est tranquille, régulier. Les fers teintent parfois sur les pierres du sentier. C'est le pas d'un animal qui ne connaît pas la peur puisque c'est lui, enfin eux deux qui la propagent aux voyageurs égarés.

Un halo bleuté se profile dans les sous bois, là où émerge le sentier. Une ombre se profile enfin : L'homme distingue maintenant la monture et sa cavalière. Il se recroqueville sur lui-même pour se faire le plus petit possible tandis que l'animal stoppe à proximité de l'eau.

- Enfin elle !

Il trouve la femme très belle, toute de blanc vêtue, un pendentif en pierre bleue ornant la peau nue de son corsage entrouvert. La lune la rend presque irréelle mais sans doute l’est elle ! Elle regarde tout autour d’elle, comme cherchant quelqu’un. Elle doit sentir sa présence : Il frissonne un peu plus, se recroqueville davantage. Il l’observe les yeux mi-clos. La femme est descendue de cheval et ses longs cheveux bruns ont tracé une belle envolée. Des épées de lumières l’entourent. L’homme a beau regarder la tête du cheval, pas la moindre corne à son front et dans les légendes, les femmes sont blondes, pas brunes !

La femme porte sa main sous sa chevelure et attend, observant autour d’elle. Un bruit strident sort l’homme de sa léthargie :

Oui allô…

 

 

FIN

 

Nouvelle de l'auteur, extraile du recueil "Une nuit en Brocéliande" Editions Guy Boullianne - Montréal / Canada -

 

 

 

 

 

ntréal / Canada -